CHARIVARI. Partir avant de perdre toute qualité de vie et de «coûter un bras la société»? La romancière Lionel Shriver aborde le sujet avec tant de précision que notre chroniqueuse relaie la question
Plutôt qu'un âge limite, ça me semble beaucoup plus judicieux de définir une limite en termes perte d'autonomie. Par exemple, le départ en maison de retraite.
Autrefois, dans les vallées du Béarn et de Bigorre, les vieux qui devenaient des poids pour leurs familles, parce qu'ils ne participaient plus aux activités agricoles ou domestiques, demandaient à un gendre ou un neveu de les emmener faire une dernière ballade en montagne. On allait admirer la vue au-dessus d'un éperon rocheux, et puis le gendre ou le neveu rentrait seul.
On en revient tranquillement à ces époques merveilleuses où on n'était pas emmerdé par le poids de la solidarité nationale ou de la Sécu. Et puis, en bonus, ça me donnera le droit de sortir ma fourche si je croise un type qui parle avec un accent un peu trop pointu.
Je vais lire ce bouquin de Shiver, le sujet est compliqué. J'avais bien aimé celui sur le marathon, ces "sport addict" et le business autour, drôle et bien vu.
Pour le sujet en question, voilà ce qu'a écrit Simone de Beauvoir dans "Une mort si douce" (qui raconte la mort de sa mère) :
« Il a bien l’âge de mourir. » Tristesse des vieillards, leur exil : la plupart ne pensent pas que pour eux cet âge ait sonné. Moi aussi, et même à propos de ma mère, j’ai utilisé ce cliché. Je ne comprenais pas qu’on pût pleurer avec sincérité un parent, un aïeul de plus de soixante-dix ans. Si je rencontrais une femme de cinquante ans accablée parce qu’elle venait de perdre sa mère, je la tenais pour une névrosée : nous sommes tous mortels ; à quatre-vingts ans on est bien assez vieux pour faire un mort…
Mais non. On ne meurt pas d’être né, ni d’avoir vécu, ni de vieillesse. On meurt de quelque chose. Savoir ma mère vouée par son âge à une fin prochaine n’a pas atténué l’horrible surprise : elle avait un sarcome. Un cancer, une embolie, une congestion pulmonaire : c’est aussi brutal et imprévu que l’arrêt d’un moteur en plein ciel. Ma mère encourageait à l’optimisme lorsque, percluse, moribonde, elle affirmait le prix infini de chaque instant ; mais aussi son vain attachement déchirait le rideau rassurant de la banalité quotidienne. Il n’y a pas de mort naturelle : rien de ce qui arrive à l’homme n’est jamais naturel puisque sa présence met le monde en question. Tous les hommes sont mortels : mais pour chaque homme sa mort est un accident et, même s’il la connaît et y consent, une violence indue.
C'est très bien dit, merci pour la citation ! C'est sûr que le sujet est délicat. Mais pour moi, quand on voit l'ambiance dans les EHPAD et qu'on pense à ce que ça coûte, je ne peux pas m'empêcher de penser qu'il devrait être possible de faire mieux.